Un rhinocéros blanc en train d’être décorné.Crédit : Greater Kruger Environmental Protection Foundation.

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Des millions de dollars ont été dépensés pour protéger les rhinocéros en Afrique, mais ceux-ci restent vulnérables au braconnage, en particulier au Kenya et en Afrique du Sud, où des centaines de rhinocéros sont tués chaque année.

Dans une étude1 publiée dans Science, des chercheurs ont découvert que malgré les millions dépensés pour les outils traditionnels de lutte contre le braconnage (gardes forestiers, caméras, chiens, hélicoptères), seul l’écornage avait un impact statistiquement significatif sur la réduction du braconnage.

L’écornage à la tronçonneuse ou à la scie à main permet d’enlever environ 93% de la corne après que l’animal a été tranquillisé à l’aide d’une fléchette. Le processus dure environ 30 minutes, de la sédation au réveil.

Le rhinocéros noir de l’Est (Diceros bicornis michaeli), que l’on trouve principalement au Kenya et en Tanzanie, et le rhinocéros noir du Sud-Est (Diceros bicornis minor), que l’on trouve principalement en Afrique du Sud et au Zimbabwe, sont considérés comme étant en danger critique d’extinction. Le rhinocéros noir du sud-ouest (Diceros bicornis bicornis), que l’on trouve principalement en Namibie et dans le sud de l’Angola, bénéficie du statut de conservation le plus élevé, étant classé comme quasi menacé.

Les gardes forestiers et les scientifiques de l’écosystème du Grand Kruger en Afrique du Sud ont analysé les données sur le braconnage des rhinocéros et les différentes interventions visant à le réduire. Entre 2017 et 2023, 1,2% du budget consacré à la lutte contre le braconnage a été dépensé pour l’écornage de 2 284 rhinocéros, ce qui a permis de réduire de 78% le braconnage dans les 11 réserves du Grand Kruger, qui abritent environ 25% des rhinocéros d’Afrique.

Tim Kuiper, du département de gestion de la conservation de l’Université Nelson Mandela en Afrique du Sud, et ses collègues ont documenté le braconnage de 1 985 rhinocéros au cours de la même période, ce qui indique que l’écornage pourrait déplacer la pression du braconnage vers d’autres rhinocéros. Le braconnage des rhinocéros décornés s’est poursuivi, car les moignons et la repousse des cornes peuvent encore être lucratifs. Au Kenya, qui abrite la deuxième plus grand groupement de rhinocéros, l’écornage n’est pas encouragé, car les cornes sont considérées comme un attrait visuel pour les touristes.

Dans un communiqué, le Kenya Wildlife Services (KWS) a déclaré que si l’écornage peut contribuer à réduire le braconnage, il ne peut constituer une solution à long terme en soit.

« Les cornes des rhinocéros repoussent, ce qui signifie que la procédure doit être répétée régulièrement, ce qui est coûteux, stressant pour les animaux et comporte des risques liés à la sédation. De plus, les cornes jouent un rôle important dans la vie quotidienne des rhinocéros, qu’il s’agisse de la recherche de nourriture, des soins aux petits, de la défense ou des comportements territoriaux. Leur enlèvement peut avoir un impact sur le comportement naturel et la dynamique sociale, en particulier chez les espèces plus agressives comme les rhinocéros noirs. »

Une mère rhinocéros blanc et son petit décornés dans la région du Grand Kruger.Crédit : Tim Kuiper

Au Kenya, à l’exception d’un bref essai mené il y a plus de dix ans lors d’une grave crise de braconnage, le KWS affirme avoir largement évité l’écornage et avoir plutôt investi dans une surveillance complète, des technologies de pointe et une coopération multi-agences afin de protéger les rhinocéros dans leur état naturel. Selon eux, cette stratégie respecte la biologie et le comportement des animaux tout en reconnaissant leur rôle essentiel dans l’identité, l’écosystème et l’industrie touristique du Kenya.

Une étude publiée en 2023 dans la revue PNAS2 a révélé que l’écornage peut affecter le territoire, l’accouplement et l’utilisation du paysage par les rhinocéros noirs en Afrique du Sud. Cependant, une étude publiée dans l’European Journal of Wildlife Research3 n’a révélé aucune différence significative entre les rhinocéros noirs décornés et ceux qui ont conservé leurs cornes en termes de taux de reproduction, de survie des petits, de durée de vie ou de causes de décès. Une étude comparable menée au Botswana et publiée dans le Journal of Zoology4 en 2023 a révélé que le comportement des rhinocéros blancs après l’écornage avait très peu changé par rapport aux influences sociales/saisonnières.

Comme le KWS, Kuiper est d’avis que l’écornage seul ne permettra pas d’empêcher le braconnage, mais il souligne que la pauvreté et la mauvaise qualité des services publics dans les zones entourant les parcs font que les habitants des régions où le braconnage est répandu ont peu de possibilités d’emploi et sont facilement recrutés par des organisations criminelles pour participer au braconnage.

La corruption peut entraver les interventions traditionnelles de lutte contre le braconnage : des gardes forestiers corrompus fournissent aux braconniers des informations privilégiées sur l’emplacement des rhinocéros, des gardes forestiers, des caméras et des chiens.

« Il faut qu’on s’attaque à ces facteurs plus larges », déclare M. Kuiper.